Islande : Gay Pride chez les Vikings

Pierre Belin, correspondant à Reykjavík, Islande
20 Août 2013



Comparée aux 320 000 habitants du pays, la Gay Pride islandaise est la plus importante du monde. 60 000 personnes ont participé aux festivités qui ont eu lieu du 6 au 11 août, avec pour point d'orgue, la célèbre parade aux couleurs arc-en-ciel. Particularité de cette 15e édition : une tonalité très politique pour dénoncer les mesures prises par la Russie, bannissant toute « propagande homosexuelle ».


Crédits photo -- Pierre Belin/Le Journal International
Crédits photo -- Pierre Belin/Le Journal International
Fraîchement débarqué en Islande, une fois les formalités d'usages finies – recherche d'un logement, d'un moyen de locomotion, inscription à l'université – il vient le temps de participer aux festivités islandaises. La Gay Pride, est le plus grand événement annuel de cet État insulaire. Situé dans l'Atlantique Nord, l'Islande est surtout connue pour ses ressources géothermiques, ses geysers, et ses noms de volcans imprononçables comme l'Eyjafjallajökull, responsable du nuage de cendre qui avait paralysé le trafic aérien en avril 2010.

Trêve d'éruption, intéressons nous à la Gay Pride à la sauce viking. Comme dans tous les pays, cette manifestation est organisée par la communauté homosexuelle, bisexuelle et transsexuelle afin de faire valoir leurs droits, et prôner la liberté et l'égalité pour toutes les orientations sexuelles et identités de genre.

Lors de la première Gay Pride islandaise organisée en 1999, le défilé comprenait seulement quelques dizaines de personnes accompagnées de pancartes et de slogans. La population islandaise a fait alors preuve d'un certain engouement pour la défence des droits des homosexuels. Très rapidement, il s'est opéré un changement de mentalités. En effet, il y a encore peu, le seul terme qui existait en islandais pour désigner un homosexuel était « kynvilla », c’est-à-dire, « aberration sexuelle ». Néanmoins, grâce notamment aux travail des associations de défense des Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transsexuels (LGBT), ce mot péjoratif a laissé la place aux termes plus neutres de « lesbia » (lesbienne), « hommi » (gay) et « samkynhneigð » (homosexuel).

L’Islande, qui est aujourd'hui reconnue pour être une nation tolérante, l'était pourtant beaucoup moins envers la communauté gay, dans les années 90. Les coming-out publics étaient rares, et certaines discothèques n'hésitaient pas à prendre des mesures discriminatoires en interdisant aux couples de même sexe de rentrer. Puis, en 1994, l'Atlhing (l'Assemblée Islandaise) a voté une loi en 1994 pour lutter contre les discriminations. Les unions gays sont devenues légales dès 1996. Sans porter le terme de mariage, dans les faits, à l’instar du Pacte civil de solidarité en France, les droits sont les mêmes que pour des couples hétérosexuels. L’adoption d'enfant par des couples homosexuels est, quant à elle, autorisée depuis 2006.

De nos jours, les Islandais acceptent sans rechigner l’idée d’une différence d’orientation sexuelle, et afficher son homosexualité dans les villes islandaises n’est plus un problème qui pourrait conduire à des insultes ou à des lynchages. Le succès grandissant de la Gay Pride de Reykjavík est le symbole de cette tolérance : environ 60 000 personnes seraient venues assister au défilé, et aux spectacles organisés pour l’occasion. Des manifestations, des prises de paroles, et des concerts ont eu lieu à Reykjavík, la capitale, et à Akureyri, la seconde ville au nord du pays.

Reykjavík... Pride !

La fameuse parade, clou du spectacle, est d'autant plus attendue qu'une vedette locale ouvre la marche : le maire de Reykjavík, Jón Gnarr, au parcours atypique, s'y déguise en femme depuis son élection en 2010, en guise de soutien au mouvement LGBT. Cette année, il distribuait des roses, habillé avec le costume traditionnel islandais féminin. Il est suivi par un cortège de véhicules représentant les différentes associations LGBT, tout cela dans une ambiance chaleureuse. Les touristes se mêlent aux Islandais qui viennent regarder en famille cette manifestation joyeuse, colorée et musicale.

Au bout de deux heures, les deux présentatrices survoltées encouragent le public présent qui scande « Reykjavík Pride ! » en faisant une ola pour accueillir le discours du maire et les chanteurs qui se produiront sur la scène. La place principale est, pour la seule fois de l'année, bondée de monde. Malgré le temps gris et pluvieux, les nombreux drapeaux arc-en-ciel colorent la ville, qui vit au rythme de la Gay Pride. Les boutiques et les bars affichent fièrement leur soutien à la manifestation, en arborant des drapeaux multicolores.

« Notre but est de s'intégrer à la société »

Didier, Français en vacances en Islande raconte : « La Gay Pride de Reykjavík est vraiment bon-enfant, les gens viennent voir la parade en famille. On voit bien ici que le discours de sensibilisation aux droits des homosexuels est très présent, et peu de personnes en Islande oseraient remettre en cause le bien-fondé du mariage homosexuel et des droits qui leurs sont accordés ». Il ajoute également « En 2010, l'Assemblée islandaise a approuvé le projet de loi du mariage homosexuel à 49 voix pour, 14 abstentions et 0 contre.»

Signe que les politiques ont soutenu le projet, lorsque la loi est entrée en vigueur, le 27 juin 2010, le Premier ministre de l'époque, Johanna Sigurdardottir, s'est immédiatement mariée avec sa compagne Jonina Leosdottir. Les journaux ont alors parlé de la « première chef de Gouvernement lesbienne au monde ». Pourtant, la question ne fait pas complètement l'unanimité : l'Eglise luthérienne, religion d’État, reste divisée sur le sujet. Cependant, Agnes Sigurdardottir, première femme évêque en Islande, organise chaque année une messe pour soutenir les homosexuels lors de la Gay Pride.

En revanche, pour Gilbert, guide français installé en Islande depuis 2010, le ton est différent : « Je soutiens la cause des homosexuels, je soutiens la Gay Pride, par contre, je ne soutiens pas les agissements de certaines personnes qui considèrent cet événement comme un moyen de se mettre en avant de la société. Ils véhiculent une image délétère de ce que sont les homosexuels. Notre but est de s'intégrer à la société, et d'abandonner toute idée de communautarisme ». Il parle également des premiers Jeux Olympiques Gays, pour lesquels Reykjavík était candidate à l'organisation : « Notre but est de participer aux mêmes Jeux que tout le monde. Alors pourquoi se mettre en marge et se stigmatiser nous mêmes avec cet événement ? ».

Une Gay Pride très politique

Crédits photo -- Pierre Belin/Le Journal International
Crédits photo -- Pierre Belin/Le Journal International
Cette 15ème édition de la Reykjavík Pride aura été l'occasion de dénoncer le sort des homosexuels en Russie, où une loi promulguée récemment punit d'emprisonnement toute « propagande homosexuelle », et qui devrait être appliquée pour les Jeux Olympiques d'hiver de Sotchi en 2014. L'ambassadeur et le personnel de l'ambassade des États-Unis et du Canada en Islande ont par ailleurs défilé dans le cortège afin de soutenir la cause LGBT, et par la même occasion, afficher leur désaccord pour les mesures homphobes prises par Moscou. Olga, jeune Russe, souligne avec ironie : « Je suis étonnée que les Américains défilent dans une telle manifestation qui défend les gays, mais qui défend aussi les droits de chaque individu et la liberté en général. Dans le cortège se trouve des soutiens de Bradley Manning, ce soldat américain emprisonné car il avait communiqué des informations top-secrète de l'armée à Wikileaks ». Elle pense aussi que : « les États-Unis sont surtout là pour protester contre la Russie qui ne veut pas extrader l'espion Edward Snowden ». En effet, celui-ci a demandé l'asile à la Russie car il a révélé les détails de plusieurs programmes de surveillance américains. La Gay Pride n'est donc pas seulement une marche des Fiertés, c'est aussi un moyen de porter hauts et forts en couleurs, des messages politiques.

Le concert de la Gay Pride s'est clôturé avec l'incontournable son de Lady Gaga « Born this way », les festivités se sont terminées dans la nuit, ou tôt le matin, chacun son choix, car à cette période de l'année, le soleil ne se couche pas vraiment en Islande. Ce sera l'occasion pour les Islandais ainsi que pour les touristes de passages de festoyer bruyamment dans la rue principale, « Laugavegur », les Champs Élysées locaux. L'alcool coule à flot, mais les Vikings y sont habitués, et les rares nuisances proviennent de quelques étrangers éméchés. Reykjavík redevient à nouveau une capitale paisible, et les gens de passages repartent continuer leur trek autour de ce fabuleux pays, où le calme succède aux éruptions.


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1.Posté par LezAttitude le 21/08/2013 10:20
Merci pour cet article très complet et intéressant, ça donne envie de participer l'an prochain :)

2.Posté par Cécile le 21/08/2013 12:59
Je vis en Islande depuis plusieurs mois, et j'ai donc assisté à cette gay pride. C'était un événement très fort, cela se ressent parmi les habitants. C'est très foufou et délirant, mais le message véhiculé par chaque personne, chaque char, est très fort. J'ai vraiment apprécié ce moment, fort de sens et d'espoir à Reykjavík. J'y ai consacré un article ici : http://www.cecile-ailleurs.fr/reykjavik-gay-pride/ n'hésitez pas à venir jeter un coup d'oeil !

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